Espérance païenne

Je la voyais debout, dressée face au bocage encore tout enveloppé dans son voile de brume
une brume argentée, légère et suspendue qui ondule en frôlant l’herbe verte du pré
la lumière du matin semblait la pénétrer, mais le souffle du vent la faisait disparaître.

Qu’importe, elle était là debout !

Elle se tenait paisible, debout face au bocage que le soleil baignait d’une lumière timide
à  l’heure où les buissons s’éveillent au son des piafs, où les branches des saules dodelinent sous leurs chants, où on discerne au loin le bêlement des moutons ou peut-être des chèvres.

Qu’importe, elle était là debout !

Elle était là debout, tenant tête au bocage à l’heure où haut perché un soleil un peu fou imposait sans raison une chaleur étouffante.  L’herbe tendre du pré fut gagnée par la flemme d’autant plus que le vent venait de s’éloigner.

Qu’importe, elle était là debout !

Elle se tenait debout, je m’en souviens encore quand la tombée du jour murmurait « c’est fini » quand le vert des buissons était devenu gris et que le pré lui-même n’était plus qu’une ombre,
elle se tenait debout quand la nuit s’avançait comme une mélodie qu’on veut ne pas entendre.

Qu’importe, elle se tenait debout !

Où donc est-elle allée et pourquoi je l’ignore, quand le ciel de la nuit nous crachait ses étoiles,
je l’ai cherchée partout, ni le vent ni les piafs ne m’ont donné d’indices, alors, je la dessine au-delà d’aujourd’hui comme un voile de brume caressant le bocage, légère et délestée de tout.

Qu’importe où qu’elle soit pourvu qu’elle soit debout !

mai 2024


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Que me restera-t-il

Que me restera-t-il

Le jour où je serai guéri de mes blessures anciennes
Sans souvenirs de mes larmes ni de mes yeux cernés
Nu de toute colère, vide de notre passé
Et du désir secret qu’un jour tu me reviennes

Que me restera-t-il

Voyageur fatigué de n’avoir plus de peine ni de rêve naissant
Assis entre deux gares qu’aucun train ne relie
Serrant entre mes mains ce reste de folie
Par laquelle, bien qu’absente, tu m’habites pourtant

Que me resterait-il

Qu’un seul matin de mai, encore tout engourdi
L’envie de respirer en vienne à me surprendre
Me fasse quitter le lit en t’y laissant attendre
T’abandonnant aux draps afin que je t’oublie

Que me restera-t-il quand je serai guéri ?

 

Une histoire simple

J’avance ici une histoire simple

Une histoire qui se livre généreuse et tranquille
À l’image de l’eau qui sait s’offrir à nous en coulant de la source

Je l’écris d’une plume légère et ferme tout à la fois
afin qu’elle se décline sans sonner le tonnerre quand le murmure suffit

J’imagine son récit presque nu, sobre, sans artifices
Juste quelques mots posés comme une caresse du vent

J’y vois le temps qui passe sans infliger d’outrages ni de blessures aux gens
Mais qui les accompagne simplement, qui chemine avec eux

Mais surtout je formule le voeu qu’ à la fin  – car il y aura une fin –
Je devienne pour moi-même comme pour ceux que je quitte, léger

Ce jour-là, j’imagine, j’oserai vous raconter que si la mort m’invite
Ma vie, mon histoire, ma source, c’était vous !


Avant de parler d’elle 

Définir, n’est-ce pas un peu « finir » ? N’est-ce pas figer au creux des mots les choses qu’ils représentent ? N’est-ce pas les enfermer, les cerner d’une haute clôture ?  N’est-ce pas geler le temps et interdire à quiconque de regarder au delà des apparences ? N’est-ce pas contester le droit de rêver d’autre chose que ce qui est prescrit ?

Définir, n’est-ce pas en l’antithèse de l’Art ou la négation de l’artiste ? 

A Nicole ; juste pour vous parler d’elle

Elle, elle peint. Elle est ailleurs et elle peint. Ailleurs et intensément là et absorbée toute entière par ça.   Absorbée par elle-même projetée sur la toile qu’elle peint.  Il n’y a ni de « où » ni de « quoi » ni d’autres questions ordinaires qui occupent son être :  il n’y a qu’elle,  la toile et cette subtile émotion dont émane une étrange énergie.

D’une couleur muette, elle pénètre la toile, la caresse, la masse et la brusque parfois. Puis, tel un semeur aux champs, elle disperse des pigments sur la matière humide et observe l’effet.

À l’écoute de ses yeux, elle revient à la tâche et lui parle autant qu’elle l’interroge , la guide autant qu’elle se laisse guider par ce qui apparaît.  L’une et l’autre se façonnent, se forgent, se font naître.

À celui qui demande « que fait-elle », je ne peux que répondre « elle fait ça ».
À celui qui demande « qu’est-ce que c’est ? » je réponds haut et fort « regardez, écoutez, respirez, et laissez-vous toucher, elle peint ! »

Elle peint et sa peinture  exhale à sa manière les senteurs du poème.

Les oeuvres appellent à bien plus vaste que ce qu’elles représentent. Elles s’opposent à l’image autant qu’à la liste arrêtée de sens définis. Elles ne répondent jamais à l’injonction du « qu’est-ce que c’est » ni d’un « que faut-il en penser ». La toile n’est qu’un tableau, mais elle nous interroge et pareil au symbole elle mène plus loin.

Ici, c’est une toile d’elle …

Visiter le site web de Nicole  ici


Le feu

Deux bûches se chevauchent et crépitent dans l’âtre. Elles dispensent une douce chaleur ainsi que ce parfum si singulier du bois qui se consume.

Eux sont assis face à lui et se laissent bercer par la danse des flammes qui se parent tantôt de jaune, tantôt de rouge ou de vert, font mine de disparaître pour rejaillir en bleu. Elles exercent sur eux une fascination hypnotique : ils n’entendent ni le bruit ni le silence qui les entoure, ils regardent le feu et ils ne voient que lui.

Durant des heures, ils regardent le feu …

Mais là, les bûches ne se chevauchent plus. Elles se fondent en condensé de braises rougeoyantes dont le crépitement scande, avant les cendres, l’imminence de leur fin.

Eux regardent les braises et le feu qui s’éteint …


 

Personne ne connaissait son nom, du moins pas encore …

Mais que s’est-il passé au sortir de l’hiver de cette année-là ?

Alors que les arbustes commençaient à verdir, les arbres à bourgeonner et que chacun se faisait une joie de voir arriver les beaux jours du printemps, un orage à grondé. Un orage silencieux et sournois inondant tout et tous d’une foudre invisible.

Dans le ciel, pas le moindre éclair, pourtant.  Seulement une sorte de rumeur qui disait que là-bas quelque part en Asie, des jours sombres effaçaient quelques vies. Sans doute n’était-ce qu’une rumeur et puis c’était là-bas, bien loin de chez nous …

Ici, nous étions naïvement installés sous les paratonnerres de nos conforts bourgeois, convaincus que les misères du monde ne touchent que les miséreux dont, bien sûr, nous ne sommes pas.

Et pourtant cet orage a gagné nos contrées. Un soir, le petit écran par lequel nous regardions le monde s’est brisé. L’odeur nauséabonde de ces misères que l’on croyait lointaines s’est engouffrée dans nos salons et nos vies en un éclair d’orage silencieux et sournois et la foudre invisible a menacé chacun.

Aujourd’hui, même lui, le monde « globalisé » qui se croyait si fort de tous ses remparts tousse et tremble sur ses bases, même l’opulence ordinaire des commerces déserte les rayons,
même les sans-logis sont assignés à résidence alors qu’ils n’en ont pas, même les plus taiseux se mettent à bavarder et les plus casaniers ne rêvent que de sortir pour embrasser les autres

L’illusion du cocon s’effondre, l’écorce des certitudes qui entourait le monde se fissure et nul ne sait vers quoi nous allons.

Et cependant si,

Si nous en étions simplement au jour de la mue, au stade de la nymphose*, à ce moment magique où chrysalide devient papillon. Si le monde en était au temps de l’émergence** Simplement l’émergence d’une forme nouvelle d’humanité.

*           Passage de la larve à la nymphe
**         Moment où le papillon déploie ses ailes et prend son envol pour commencer vraiment sa vie de papillon


 

La complainte d’un pavé de rue  (fable citadine)

Je suis pierre  et sans majuscule on me foule du pied
Même si je porte en habit la rosée du matin
En guise de parure, quelques perles de pluies

Très souvent je suis nu

Le timbre de ma voix change au gré des talons qui passent et me piétinent
Je vais de tac en toc, de sons mats en sons secs qui claquent
Car pierre et sans majuscule on me foule du pied

Facétieux à mes heures je sais me rendre absent
Voir chuter les distraits et en rire
Pourquoi serais-je seul voué aux sorts ingrats

Il y a longtemps déjà, la masse et le burin m’ont extrait de la terre
Une taille en carré menant à mon destin : pavé !
Pavé de pierre sans majuscule, mais pierre bleue du pays

Que seulement je proteste: on évoque l’émeute
On me lance, on me jette à tout va
Pour après l’accalmie me remettre sous les pas

Les passants m’ignorent quand je me fais discret
Ils marchent, trottinent, piétinent ou jacassent sur place
Et moi, pierre, je patiente en silence et je reste de marbre

Mes petites vengeances sont rares et souvent bien modestes :
Sous un soleil d’été, j’aime me faire brûlant, surprendre le va-nu-pieds
Alors que sous le givre, devinez quoi ?

Si, lassés de mes caprices, vous rêvez de bitume
Sachez que jamais aucun sol ne fera meilleure carrière que moi
Pavé de pierre, nu et sans majuscule


Ce ne fut qu’un fait d’hiver

Le quartier est bien plus animé que d’habitude. Les boutiques de la rue principale sont parées de guirlandes et de faux cadeaux joliment emballés qui contribuent à l’ambiance festive de cette fin d’année.   Dès l’entrée dans le parking  pourtant, l’univers si joyeux de la rue commerçante s’éclipse brutalement. Une rampe pentue suivie d’un virage serré entre des piliers de béton brut me mène à cet espace vaste et lugubre, tout rempli de voitures rangées dans des sortes de loges exigües, alignées côte à côte. Il y règne des odeurs de fumées d’échappement, d’huiles et de gommes de pneumatiques mêlés parfois à une odeur d’urine.

J’ai garé ma voiture à proximité de la voie de sortie la plus proche. Je traverse l’endroit en direction des ascenseurs menant au centre commercial. Quelques crissements de pneus et claquements de portières résonnent sans qu’on ne puisse discerner précisément d’où ils proviennent : je n’y prête guère attention, je poursuis mon chemin d’un pas décidé.

À l’approche du hall d’accès aux ascenseurs, je vois cette femme assise à même le sol, complètement recroquevillée et tout enrubannée de loques qui peinent à masquer sa maigreur. Elle m’a vu arriver et m’adresse un sourire en guise d’invitation à déposer l’aumône dans le gobelet en carton posé à ses pieds. Hélas pour elle, je ne donne plus d’argent aux mendiants depuis que mes amis m’ont accusé d’encourager ainsi la traite d’êtres humains : les mendiants ne seraient, disent-ils, que l’instrument de réseaux mafieux qu’ils enrichissent en se maintenant eux-mêmes dans la misère !

À défaut d’une pièce de monnaie, je lui offre un bonjour et lui rends son sourire avant d’entamer ma course effrénée aux achats de dernières minutes.

En parcourant les rayons à la recherche de ces précieux articles dont nous pourrions très bien nous passer, je mesure combien l’apparente misère de cette femme m’a lesté du poids d’un remords : n’aurai-je pas dû lui proposer au moins quelque chose à boire ou à manger ?

Tout en poursuivant l’acquisition de ce qui figure sur ma liste d’achats ainsi que de quelques extras subtilement suggérés par des publicités d’offres exceptionnelles, ma trottinette mentale continue à m’aligner une kyrielle de questions (la résurgence  d’une éducation judéo-chrétienne sait entretenir les sentiments de culpabilité même chez les plus innocents) :

  • Qu’est-ce qui conduit des personnes, parfois très jeunes, à la mendicité ?
  • Cette femme serait-elle, elle aussi, victime d’exploiteurs mafieux ?
  • Pourquoi les autorités ne règlent-elles pas le problème ?

Soit ! Mon chariot s’est rempli de tous ses superflus qu’on croit indispensables pour se mettre à la fête et me voici arrivé à la caisse où je fais patiemment la queue poursuivant mentalement mes considérations sur la réminiscence de valeurs chrétiennes, l’âge idéal pour être miséreux ou la capacité des autorités à résoudre les drames de notre monde cruel.

La file a progressé et c’est à mon tour de soumettre le contenu de mon panier au détecteur de consommation qui se chargera de chiffrer le montant de ma pénitence. Pénitence qui sera partiellement allégée grâce au fait que je dispose d’une carte de fidélité de la maison !

Au moment où tombe la question rituelle du vous réglez en liquide ou par carte, je demande à la caissière d’ajouter à ma note un de ces petits bouquets de fleurs savamment disposés près des caisses : je l’offrirai à la bougresse enrubannée qui hante le parking … en guise de baume au cœur.

Les emplettes empaquetées et les mains encombrées d’un bouquet que je ne sais ni par où ni comment tenir, je file en direction du parking. Me voici au niveau du moins deux où je me prépare à offrir mon bouquet. Mais là, stupéfaction : par terre, toujours dans la même posture, avec le même gobelet en carton destiné à collecter les dons, c’est un diable de gaillard solidement charpenté qui occupe la place et réclame une pièce … pour manger, me dit-il.

Comme dans une chanson de Georges Brassens : avec mon p’tit bouquet, j’avais l’air d’un con ! Je n’allais pas offrir des fleurs à un costaud chevelu et mal fringué qui fait la manche. Je n’allais pas non plus en manger les pétales pour faire passer ce goût amer de pigeon  qui me reste dans la bouche. Oui, je me sens grugé : ma conscience, bonne ou mauvaise, a été mise abusivement à l’épreuve !

Je laisse le mendiant à son œuvre en sachant bien que  ce n’est pas un quelconque Merlin l’enchanteur qui, d’un coup de baguette magique, aurait changé l’une en l’autre …Je repense à ce que me disaient mes amis à propos des réseaux mafieux et je dois bien me rendre à l’évidence : leur tour de rôle est bien organisé, chacun prend le relai de l’autre, lui succède à une heure précise comme on le fait dans une usine où on travaille à pause. Victimes ou co-auteurs d’arnaques sur entourloupes à la charité, allez savoir !

Paquets, sachets, victuailles et bouquet enfournés dans le coffre de l’auto, je claque sèchement la portière pour qu’elle résonne bien fort (comme pour crier en silence) et je quitte ce temple de l’inhumanité dans un crissement de pneus capable de faire frémir plus d’un mal entendant.

Misère, puanteur et béton brut sont restés derrière moi. Je retrouve les boutiques de la rue principale toutes parées de guirlandes et de faux cadeaux joliment emballés qui me rappellent qu’après tout, aujourd’hui c’est la fête …